On pourra retenir beaucoup de choses de la Coupe du monde 2018, de la fin des carrières de Cristiano Ronaldo et Messi qui se dessinent sans le plus grand des trophées, en passant par l’épopée croate et évidemment le triomphe des Bleus de Didier Deschamps. L’équipe de France est devenue championne de monde pour la deuxième fois de son histoire. On imagine alors voir en boucle Hugo Lloris soulever la coupe, des tonnes de reportages sur Kylian Mbappé et les images des supporters français exultant aux quatre coins du pays. Il y a eu de cela, évidemment. Pourtant, c’est un autre débat qui a occupé l’attention durant cet été post-mondial : les Bleus sont-ils de beaux vainqueurs ? Que doit-on penser du jeu pratiqué par Didier Deschamps ? Ce débat a envahi les médias, à l’étranger comme en France où il a pris forme dans la bouche de ce qu’on appelle désormais les snipers, notamment Pierre Ménes ou Christophe Dugarry. Les mots ont parfois été durs, pour preuve, la guerre par médias interposés entre l’ancien attaquant bordelais et le sélectionneur. Mais peut-on vraiment en vouloir à Deschamps ? Après tout la France est championne du monde, de quoi nous pouvons nous nous plaindre ? Pierre Ménes et Christophe Dugarry, qui dans leur rôle, avaient attaqué Deschamps avant la Coupe du Monde, ne font-ils tout simplement en sorte de ne pas retourner leurs vestes ?
Le besoin de lumière, le besoin d’audience, renforcent ces prises de paroles très tranchées et loin d’être toujours argumentées. Mais au-delà de ce spectacle médiatique, le débat footballistique est réel, il est même inhérent à ce sport : esthétisme ou pragmatisme ? Ce débat a toujours existé, il était déjà sur la table lorsque l’Allemagne a battu la Hongrie en 1954 et il anime toujours les conversations aujourd’hui. Un match symbolise à lui seul ce fameux débat, cette dichotomie : Brésil – Italie 1982. Certains ont même avancé que le football est mort ce jour-là. Retour sur un match qui va marquer à jamais l’histoire du foot, une cicatrice éternelle entre football romantique et football tactique.

La magie brésilienne de retour après la terrible décennie 70
L’équipe du Brésil 1970 est la sélection championne du monde la plus jeune de l’histoire, cette génération était donc promise à un bel avenir, pourtant elle ne réitérera pas son exploit. Certes, la retraite internationale de Pelé y est pour beaucoup mais pas seulement. Cette génération exceptionnelle a surtout dû faire face aux énormes progrès des nations européennes. Elle s’est un peu reposée sur ses lauriers ce qui lui coutera une décennie de disette. La Coupe du Monde 1974 l’illustre parfaitement. À cette époque, la Coupe du Monde s’organise en une première phase de groupe, quatre groupes de quatre équipes. Les deux premiers sont qualifiés pour une deuxième phase de groupe, cette fois deux poules de quatre. Les premiers de chaque poule s’affrontent en finale et les deuxièmes dans un match pour la troisième place. Durant la première phase, le Brésil bute sur deux équipes européennes, deux fois 0-0 face à la Yougoslavie et l’Écosse, avant de s’imposer 9-0 face au Zaïre. Grâce à cette victoire les Auriverde se qualifient pour le second tour. En seconde phase, le Brésil bat l’Allemagne de l’Est 1-0 puis l’Argentine 2-1, s’offrant ainsi une sorte de demi-finale face aux Pays-Bas. Lors de ce match, les Brésiliens ne pourront rien faire face au football total de Cruijff et Neeskens et s’inclineront 2-0. En petite finale, ils perdront contre les Polonais. Un constat est fait au pays, la sélection a pris du retard tactiquement face aux nations européennes, on fait donc appel à un entraineur pour y remédier Cláudio Coutinho.

Il prend les rênes de la sélection en 1977 et veut imposer un style de jeu plus européen, avec une vraie rigueur tactique. La prise de pouvoir de Coutinho correspond à l’éclosion de la nouvelle star du football brésilien Zico. Le Brésil se balade en qualifications et semble redevenir l’ogre tant redouté. Pourtant l’équipe démarre difficilement le Mondial et va vite se retrouver au cœur de polémiques. Lors du premier match, la Seleçao pense arracher la victoire face à la Suède à la dernière seconde mais l’arbitre signale avoir sifflé la fin du match juste avant que Zico marque de la tête.
Rappelons que cette Coupe du Monde est organisée en Argentine sous la dictature militaire et beaucoup y voient ici la patte du régime en place. Le Brésil fera ensuite 0-0 contre l’Espagne avant de l’emporter face à l’Autriche, équipe déjà qualifiée. Zico et son équipe décrochent donc la deuxième place et se retrouvent au tour suivant dans le groupe de… l’Argentine. Le Brésil remporte son premier match 3-0 avant d’obtenir un nul 0-0 face au pays hôte dans ce que les observateurs appelleront « la bataille de Rosario », un match dur où les coups pleuvront de tous les côtés. Pour le dernier match, les Brésiliens battront les Polonais 3-1, obtenant ainsi un goalaverage confortable. L’Argentine doit alors s’imposer par 5 buts d’écarts face au Pérou pour espérer se qualifier en finale. Les Argentins l’emporteront 6-0. D’énormes soupçons pèseront sur le match, d’autant que le régime péruvien est proche du régime argentin. Le Brésil se contentera de la troisième place après avoir battu l’Italie.
Coutinho quitte alors son poste en 1979 après un échec en Copa America. Au Brésil on pense désormais avoir fait son retard tactiquement. Il faut quelqu’un qui puisse construire une équipe autour de la star Zico, une équipe à l’image du « Pelé blanc » joueuse et spectaculaire. Au pays, un entraineur encore peu connu commence à se faire un nom : Telê Santana. Il se fait connaitre alors qu’il est entraineur du Gremio. Le Gremio joue dans la région du Rio Grande do Sul et participe au fameux championnat régional le Campeonato Gaúcho. Ce championnat est dominé sans partage par le club d’International avec 8 titres d’affilés entre 1969 et 1976. International remporte aussi le championnat national 1975 et 1976, elle est alors la meilleure équipe du pays. Pourtant, avec une équipe composée sans joueur vedette, Telê Santana, à la tête du Gremio, va ravir le titre régional en 1977.
Son jeu basé sur un pressing sur le porteur du ballon, puis un jeu rapide vers l’avant ravi le public brésilien. C’est donc à lui que l’on confie les clefs de la sélection nationale en 1980 avec pour objectif la Coupe du Monde 1982 en Espagne.

Telê Santana peut désormais puiser dans l’immense vivier de joueurs brésiliens pour aller au bout de ses idées. La France va vite découvrir à quoi ressemble le Brésil version Santana puisque la Seleçao est invitée pour un match amical au Parc des Princes le 15 mai 1981 face aux Bleus. Si côté français Platini, Giresse, Rocheteau et Battiston sont forfaits, côté brésilien Santana compte s’appuyer sur un joueur encore très peu connu en Europe, Socrates. Il va éclabousser la partie de son talent.
Il va délivrer une merveille de passe qui va transpercer la défense et permettre à Zico d’ouvrir le score à la 21e minute. Reinaldo alourdira le score six minutes plus tard. Le duo Zico-Socrates va refaire parler de lui en début de seconde mi-temps. Zico part du milieu de terrain, emmène le ballon, voit Socrates qui fait un appel en course croisée, le sert alors d’une louche. Socrates reprend en première attention d’un lob astucieux qui mystifie Jean Castenada qui gardait les buts. Si Didier Six réduira le score en fin de partie, juste avant de se faire exclure, les Français retiendront surtout la démonstration brésilienne. Un jeu rapide, fluide, technique qui impressionne. Le Brésil qui faisait rêver est de retour.
L’Italie entre scandales et déboires sportifs
On colle toujours à Enzo Bearzot l’image d’un entraineur qui développe un jeu rugueux et peu spectaculaire. C’est le fameux Mondial 82 qui veut ça, pourtant ça n’a pas toujours été vrai. Pour comprendre, il faut remonter plusieurs années en arrière. Enzo Bearzot n’a jamais vraiment été un vrai entraineur de club, mais plutôt l’homme d’une fédération. S’il entraine une saison en Serie C après une honorable carrière de joueur, il va très vite rejoindre le staff de la fédération dès 1969. En 1971, il prend en charge les espoirs et épaule le sélectionneur italien Valcareggi au Mondial 74. En 1977, il devient seul sélectionneur et emmène la sélection à la Coupe du Monde de 78. Fort de son expérience avec les espoirs, il compose une sélection très jeune où sur les vingt-deux joueurs seulement deux (l’un est Dino Zoff) ont plus de trente ans. Parmi cette sélection on retrouve un tout jeune attaquant de 21 ans qui vient de connaitre une première saison en Serie A exceptionnelle, Paolo Rossi. Formé à la Juventus, c’est à Vicence qu’il explose. Alors en Serie B, il termine meilleur buteur et aide son club à rejoindre l’échelon supérieur. Vicence réalise une saison incroyable en finissant second derrière la Juventus. Rossi réussit l’exploit d’être meilleur buteur de Serie B puis de Serie A la saison suivante. C’est ainsi qu’à 21 ans il participe à sa première Coupe du Monde.

L’Italie va battre d’entrée la France 2-1 avec un but de Rossi. Elle efface ensuite la Hongrie 3-1, ainsi que le pays hôte l’Argentine 1-0. L’Italie impressionne et tout le monde salue la fougue de sa jeune génération. L’Italie finira par s’incliner au second tour face aux Pays-Bas et perdra la petite finale face au Brésil. La Squadra azzurra finit quatrième, ce qui relève presque du miracle après la débacle de 1974 où l’Italie était sortie au premier tour. Enzo Bearzot a l’entière confiance de la fédération. Il a emmené une équipe très jeune qui est parvenue à finir quatrième en développant un jeu offensif très intéressant. C’est de très bon augure pour la suite. L’Euro 1980 va se jouer en Italie et cette compétition est un objectif clairement affiché par la fédération. Bearzot est tout naturellement maintenu à son poste, pour mener l’équipe à la victoire.

Mais entre-temps le football italien se dégrade. Durant les deux saisons qui séparent la Coupe du Monde 1978 et l’Euro 1980, les clubs italiens font pâle figure sur la scène européenne. Le meilleur résultat est une demi-finale de la Juventus en coupe des coupes, pour le reste, c’est quasiment le néant. Si sportivement les clubs italiens vont mal, ils vont toucher le fond en 1980 pour de l’extra-sportif. En mars éclate le scandale du Totonero. Plusieurs joueurs de Serie A pariaient auprès de bookmakers clandestins, comprendre ici la mafia, sur leurs propres matchs. Certains joueurs levaient donc volontairement le pied en pariant contre eux-mêmes. La justice démontrera cette pratique sur deux matchs Lazio-Milan AC et Avellino-Perouse. Les deux premières équipes citées, clubs historiques italiens, sont rétrogradées en Serie B. Pour le deuxième match, ce sont les joueurs qui sont visés par la justice. Plusieurs sont condamnés lourdement avec des suspensions allant de plusieurs mois à plusieurs années.
Depuis ses premières saisons et son Mondial éclatant, Paolo Rossi a du mal à enchainer, notamment après un transfert avorté vers la Juventus. Il part finalement se relancer à Perouse lors de la saison 1979-1980, au moment où le scandale du Totonero éclate et il est directement visé par la justice. Il criera son innocence accusant la justice de faire de lui, un exemple. Il est condamné à une suspension de trois ans.

Ce sont dans ces conditions que l’Italie se présente à son Euro. Enzo Bearzot fait confiance à son groupe puisqu’il reconduit 14 des 22 joueurs du Mondial 1978, sans Paolo Rossi évidemment. Pour le reste, il rajeunit une nouvelle fois son effectif et apparait par exemple pour sa première grande compétition Franco Baresi. Les scandales, la pression, le jeune effectif, l’absence de sa star, tout cela joue sur la Squadra azzurra qui conclut la phase de poule par deux nuls et une victoire, un seul but marqué. Elle obtient une décevante deuxième place qui la condamne à un match pour la troisième place face au deuxième de l’autre poule la Tchécoslovaquie, match qu’elle perdra aux penaltys.

La presse commence à vouloir la tête de Bearzot pourtant il ne faut pas oublier une chose, Bearzot est un homme d’institution, de fédération. En faisant marcher ses réseaux, il reste en place, persuadé d’avoir les moyens d’emmener l’Italie au titre mondial. C’est pourtant une pluie de critiques qui va s’abattre sur lui et il lui faudra des nerfs solides pour tenir le coup.
Des débuts diamètralement opposés
La Coupe du Monde 1982 possède elle aussi un système avec deux tours de groupes avec néanmoins des variantes : le premier tour est composé de six groupes de quatre, le second de quatre groupes de trois, les premiers de chaque groupe se rencontrent en demi-finales. L’Argentine, tenante du titre et emmenée par la star montante Diego Maradona, s’incline d’entrée face à la Belgique. Le lendemain l’Italie obtient un piètre 0-0 face à la Pologne. Dans la foulée, pour le troisième match de la compétition, c’est le Brésil qui entre en piste. Les Auriverde font partie des favoris, ils n’ont pas perdu un match depuis deux ans et une rencontre amicale face à l’Union Soviétique, pays qu’ils retrouvent en ce début de Coupe du Monde. Les Brésiliens vont se faire surprendre et seront menés à la mi-temps. Après la pause, ils vont enfin mettre en place ce jeu collectif et rapide que tout le monde attendait et à la 75e, après un mauvais renvoi de la défense, Socrates élimine deux joueurs et envoie une frappe puissante pleine lucarne. Dix minutes plus tard, les Russes défendent comme ils peuvent dans leur surface, les Brésiliens font tourner autour comme une équipe de hand jusqu’au moment où Falcao feint la frappe, laisse passer le ballon entre ses jambes pour Eder qui se lève le ballon et arme une frappe monumentale qui fusille le gardien. Le Brésil l’emporte 2-1.

Le match suivant est un véritable récital face à l’Écosse. Si la Seleçao est une nouvelle fois menée, elle égalise par un coup franc sublime de Zico. Elle prend ensuite la tête sur un coup de casque d’Oscar. Le troisième but est un modèle du jeu brésilien version Telê Santana. Le ballon part d’une relance courte du gardien, quatre joueurs touchent le ballon, ils passeront chacun le ballon en avant, ainsi, en à peine dix secondes, le cinquième joueur Eder, obtient le ballon à l’entrée de la surface. Il voit le gardien avancé et le punit d’un magnifique ballon piqué. Falcao finira par définitivement alourdir le score après une passe de Socrates.

Le monde se prend à rêver devant ce Brésil si spectaculaire et les fans égrènent les noms des joueurs au rythme des passes qu’ils se font entre eux, ce qui donne presque un air de samba : Luizinho, Socrates, Zico, Eder, Falcao, Serginho…

Pour le dernier match de poule, le Brésil va corriger la Nouvelle-Zélande 4-0 avec pour commencer un retourné de Zico. Il va ensuite doubler la marque au terme d’une magnifique action collective. Le troisième est de la même veine, cette fois conclu par Falcao. Le quatrième, encore une fois une action collective, restera dans les mémoires pour le drible dévastateur de Zico qui offre le but à Serginho. Le Brésil renverse tout sur son passage et se qualifie aisément pour le second tour.
Côté italien, ce n’est pas tout à fait la même histoire… La préparation italienne à la Coupe du Monde a été chaotique, la sélection s’est inclinée en France, est allée chercher un nul en Allemagne de l’Est puis en Suisse. La presse ne lâche pas Bearzot. Il semble à court d’idée avec un effectif à la peine. Pourtant le coach va leur réserver une sacrée surprise. Paolo Rossi, son « poulain » a vu sa peine ramener à deux ans et demi au lieu de trois, c’est qui le rend disponible pour la Coupe du Monde. Il est à court de forme, il n’a pas joué mais Bearzot décide de le retenir pour le Mondial. Le groupe est assez proche de celui de 1980 ce qui laisse la presse perplexe, et elle ne se prive pas de critiquer ouvertement le sélectionneur. Il va alors imposer à son équipe, staff compris, quelque chose qui n’a jamais été encore fait auparavant le « silenzio stampa », c’est-à-dire l’interdiction totale de parler à la presse.

C’est en vase clos, coupé du monde que l’Italie aborde son Mondial, Mondial qu’elle démarre mal : 0-0 contre la Pologne, puis 1-1 contre le Pérou et enfin 1-1 contre le Cameroun. L’Italie se qualifie à la faveur du nombre de buts marqués, un de plus que le Cameroun. Ce n’est pourtant pas grâce à Rossi qui n’a toujours pas inscrit le moindre but. La presse italienne l’accable mais les joueurs n’en savent quasiment rien, ou font en sorte de ne rien savoir. Après cette qualification laborieuse, le deuxième tour s’annonce compliqué pour les Italiens qui devront se défaire des champions du monde argentins et du Brésil qui fait désormais office de favori.
Le premier match de ce groupe oppose les Italiens aux Argentins. L’Argentine est emmené par son duo de jeunes stars Maradona et Diaz qui avaient fait des ravages lors du mondial des moins de 20 ans 1979. On retrouve aussi des cadres comme Passarella ou Bertoni. Pour Bearzot, il n’y a aucun doute, le principal danger est bel et bien le n°10 argentin, tout juste transféré au FC Barcelone. Le sélectionneur demande alors à l’un de ses hommes de base, le défenseur au jeu plus que rugueux, Claudio Gentile, de sortir sur Maradona à chaque fois que ce dernier redescendra pour prendre le contrôle du jeu au milieu de terrain. L’idée est de l’empêcher de distribuer le jeu, mais surtout de prendre de la vitesse car une fois lancé, il est quasiment impossible à arrêter. Dans leur camp retranché, Gentile passe près de deux jours à analyser le jeu de Maradona, il sait que sa prestation aura une énorme influence sur le résultat final.

Le plan est parfaitement mis en place et c’est un récital que va exécuter Gentile avec tout ce que cela comporte : tacles, tirages de maillot, coup de coudes… Il ne laisse pas respirer Maradona une seconde et l’Argentine peine offensivement. L’Italie joue les coups à fond et ouvre le score en seconde période par Tardelli. Cabrini va alourdir la marque avant que Passarella réduise le score. Les Azzuri tiennent bon et obtiennent leur première victoire à un moment crucial de la compétition.
C’est ensuite le Brésil qui s’y colle. Le monde salive déjà à l’avance du duel Maradona – Zico que l’on considère à l’époque comme les deux plus grands techniciens de la planète. Surtout, le public attend de voir un Maradona libéré de la contrainte de Gentile, les Brésiliens préférant un football technique à un football physique, on s’attend à un festival. Enfin, il ne faut pas oublier la rivalité ancestrale qui lie ces deux pays, le monde attend un match explosif.

Eder ne se trompe pas de registre et à la 10e minute, sur coup franc, envoie un véritable missile qui s’écrase sur la barre et rebondit sur la ligne, Zico se jette et ouvre le score. Si l’Italie avait fait le choix du marquage individuel strict pour s’occuper de Maradona, le Brésil avance une approche différente. Deux joueurs sortent systématiquement sur l’Argentin pour l’obliger à jouer le plus bas possible. Maradona se mue alors en distributeur. S’il joue juste techniquement, ce n’est pas le cas de ses coéquipiers devant. L’Argentine patine.

Le Brésil reprend le jeu à son compte en deuxième mi-temps et sur un magnifique enchainement de passes Eder – Zico – Falcao, Serginho vient conclure d’une tête rageuse une action de grande classe. À un quart d’heure de la fin, après une nouvelle démonstration de passes, Zico glisse une merveille de ballon en profondeur, la défense argentine n’y voit que du feu et Junior gagne son duel face au gardien. Maradona finira par perdre ses nerfs en fin de match en mettant un coup de pied dans le bas ventre de Batista. À 10, l’Argentine réduira le score mais ce sera trop tard. C’est une défaite qui la condamne définitivement. Le ticket pour la place en demi-finale se jouera donc entre un Brésil époustouflant et une Italie convalescente. Un match qui va marquer l’histoire.
Brésil – Italie 1982
Le Brésil ayant une meilleure différence de but, un nul leur suffit pour se qualifier. Par conséquent, les Italiens doivent s’imposer pour poursuivre la compétition. Le monde entier se demande comment l’Italie va pouvoir stopper le « football samba » des Brésiliens. On s’attend donc à un spectacle technique mais aussi tactique. Le football romantique brésilien, fait de passes de touches simples, un jeu vite porté vers l’avant, face à des italiens disciplinés qui ne cèderont aucun espace. Zico va-t-il briller là où Maradona a échoué ? Le coup de maitre de Bearzot face à l’Argentine était-il l’histoire d’une fois ? Toutes ces questions auront trouvé réponse au bout des 90 minutes.

Les premières minutes confirment ce qu’attendaient les observateurs, une possession brésilienne face à un bloc bas italien. On peut alors penser que les Azzurri vont chercher les contres dévastateurs, pourtant une fois la balle récupérée, ils cherchent à construire. La première action chaude est d’ailleurs transalpine, après une longue séquence de passes, Tardelli trouve Rossi dans la surface qui manque complètement sa frappe. À la 5e minute, les Italiens récupèrent le ballon dans leur surface après un centre brésilien mal exploité. Collovati remonte le ballon, passe à Scirea sur la droite qui trouve Oriali, ce dernier remet à Conti, il efface un Brésilien et change le jeu d’un magnifique extérieur du gauche. C’est Cabrini qui récupère le ballon et centre dans la surface. Le ballon plonge au second poteau et Rossi étrangement seul place une tête au fond des filets, 1-0 pour l’Italie. Il n’avait plus marqué en sélection nationale depuis le 13 juin 1979. Il met ainsi fin à trois ans de galère et lance parfaitement son équipe. Stupeur dans le stade de Barcelone.

Les Brésiliens ne se découragent pas et reprennent leur jeu, l’occasion de découvrir que Zico va devoir passer le match en compagnie du rugueux Gentile. Après Maradona, c’est donc le Pelé blanc qui est cette fois dans son viseur. C’est alors Socrates qui va prendre le rôle de métronome. À la 10e minute, d’une passe laser il trouve Serginho qui s’appuie sur Zico, le numéro 10 brésilien lui remet un peu involontairement, Serginho se trouve seul face au gardien mais croise trop sa frappe. Si Zico est cerné, le Brésil possède plus d’arguments que l’Argentine et le danger peut venir de partout. Deux minutes plus tard, Socrates remonte le ballon au milieu du terrain, il trouve Zico qui est évidemment surveillé comme le lait sur le feu mais il se défait magnifiquement du marquage, il s’emmène le ballon et d’une passe aveugle le glisse sur la droite pour Socrates qui arrive lancé. Il s’excentre légèrement, feint la passe en retrait et glisse le ballon entre le poteau et Zoff, 1-1. Une action de grande classe menée par les deux génies brésiliens.

Le match reprend alors son scénario : vagues brésiliennes face au mur italien. À la 25e minute, alors que le Brésil s’apprête à remonter le ballon tranquillement depuis sa défense, Toninho manque complètement sa relance et sert Rossi plein axe, il tente une frappe puissante à l’entrée de la surface qui surprend le portier Waldir Peres, 2-1. L’Italie reprend la tête et est virtuellement qualifiée. Ce qui surprend alors, c’est qu’à 2-1, l’Italie joue. On est très loin du cliché du catenaccio, l’Italie garde le ballon en s’appuyant sur ses techniciens notamment les excellents Conti et Tardelli. Ce sera le score à la mi-temps. Gentile remplit une nouvelle fois parfaitement son rôle au point de déchirer le maillot de Zico juste avant la pause.

Le Brésil entame la seconde mi-temps tambours battants et Falcao n’est pas loin d’égaliser dès les premières secondes. Un quart d’heure plus tard c’est Serginho qui est tout proche de remettre les deux équipes à égalité mais Zoff s’interpose. Ce qui n’empêche pourtant pas l’Italie de jouer. Juste après l’occasion brésilienne, Graziani déboule côté gauche, son centre surprend la défense Auriverde, Rossi se retrouve alors totalement seul au second poteau mais manque sa reprise. Chaque accélération, chaque attaque bien menée mettent la défense brésilienne aux abois. Offensivement, c’est une autre histoire, Junior régale le stade avec cette merveille de ballon piqué dans le dos de la défense, Totinho Cerezo tente une volée qui s’écrase sur le poteau. Le Brésil se fait de plus en pressant. À la 68e minute, Junior remonte le ballon côté gauche puis change totalement le jeu. Il trouve Falcao sur la droite à l’entrée de la surface, d’une feinte de frappe il s’ouvre l’angle et tente sa chance. La frappe puissante surprend Zoff et le Brésil égalise, ce qui lui permet d’être virtuellement qualifié.

Il a été dit que le Brésil s’est trompé tactiquement après avoir marqué le second but, notamment en sortant l’attaquant Serginho pour l’ailier Paulo Isodoro, pourtant la chute va venir de plusieurs erreurs défensives à priori anodines. Antognoni déborde, son centre est trop long. Totinho Cerezo a tout le temps de le contrôler mais il décide de remettre de la tête à son gardien, remise mal assurée puisque le ballon sort en corner. Sur ce même corner, le ballon est renvoyé de la tête mais Tardelli tente une volée, Rossi seul aux 5 mètres détourne la frappe, le ballon est alors imparable pour Waldir Peres. Rossi qui n’avait plus marqué depuis plus de trois ans, inscrit là un triplé légendaire.

Il reste un petit quart d’heure au Brésil pour marquer. Les Auriverde poussent sans vraiment être dangereux. Leur meilleure chance viendra d’une tête d’Oscar bien stoppée par Zoff à la 88e. Ils auraient même pu se faire punir quelques minutes plus tôt mais Antognoni a été justement signalé hors-jeu et son but refusé. Après un dernier corner brésilien bien repoussé par Zoff, l’arbitre siffle la fin du match. L’Italie s’impose 3-2 et se qualifie pour les demi-finales du Mondial.
L’héritage
Si ce match et plus particulièrement l’équipe brésilienne ont particulièrement marqué les esprits c’est aussi à cause des avancées technologiques. La télévision couleur était une nouveauté dans les années 70, mais elle est désormais bien installée dans les foyers au début des années 80. De plus, les matchs sont retransmis avec plusieurs angles de caméras, des ralentis, ce qui permet de meilleures analyses. Enfin, la Coupe du Monde 1982 est la première Coupe du Monde à voir la quasi-totalité de ses matchs en direct. Pour exemple, en France, sur les 52 matchs, 42 sont diffusés en direct sur les chaines publiques. Il a donc été possible de suivre tous les matchs de l’équipe brésilienne ce qui a forcément laissé une trace indélébile aux quatre coins de la planète. Le Brésil a proposé un style de jeu que l’on voyait très peu en Europe, encore plus offensif que le football total néerlandais. Un jeu rapide, porté vers l’avant, le tout mené par des joueurs avec une qualité technique exceptionnelle. Le monde entier a pu découvrir des footballeurs sans pareil : rapides, techniques, avec une vision du jeu exceptionnelle. Le Brésil a régalé avec 15 buts en 5 matchs, 15 buts plus beaux les uns que les autres. Le célèbre journal anglais The Guardian s’est même amusé à les classer.

C’est ainsi qu’est née cette image du football romantique brésilien, simple, beau, esthétique. Tout cela est vrai, mais c’est vite oublier sa défense. Ils ont été menés au score contre l’Union Soviétique et l’Écosse sur de grosses bévues défensives. Si l’attaque a été l’une des plus brillantes de l’histoire du foot, sa défense en était à des années lumières. Ce qui pouvait causer la chute des Auriverde, c’est qu’une équipe parvienne à exposer au plein jour le faible niveau de sa défense. Ce qui a marqué, c’est que c’est l’équipe à laquelle on s’attendait le moins qui y est parvenue. L’Italie semblait moribonde, inoffensive, mais à y regarder de plus près, ce n’était pas forcément le cas. Les Azzuri possédaient une excellente défense avec notamment, le fameux Gentile. On trouvait aussi dans le 11 de bons techniciens comme Conte ou Tardelli. Ce qui manquait à cette équipe c’était un buteur. Elle a toujours eu ce buteur depuis le début de la compétition mais il manquait de rythme, il n’avait pas joué depuis plus de deux ans. Il a retrouvé ses jambes au moment clef et c’est ainsi que Paolo Rossi a entrainé la chute du Brésil. Ce fût un vrai pari de Bearzot, ils étaient peu à y croire. Mais il a toujours su que si Rossi se réveillait, plus rien ne pourrait arrêter la Squadra Azzura. Il a vu juste.

On ne peut donc pas réduire l’Italie de 82 à une équipe défensive, sans âme, ayant tué le football pour reprendre l’expression de Socrates. Il faut remettre ce match dans le contexte, il faut surtout le dire, contrairement à la légende, l’Italie a joué ce match et ne s’est pas contenté de défendre pour jouer le contre. Pourtant, dans l’imaginaire collectif ce match est l’exemple même de l’affrontement entre esthétisme et pragmatisme. Peut-on gagner en étant seulement esthétique ? La preuve que non, sans défense à niveau c’est impossible. Peut-on gagner en étant seulement pragmatique ? Sans le réveil de Rossi, nul doute que l’Italie aurait pris la porte. Ce débat est le même aujourd’hui. La France aurait-elle pu gagner sans ses éléments offensifs ? Non. Certes la défense est le point fort de l’équipe de France mais pour gagner, il faut marquer et elle a su le faire.

Alors les pessimistes nous diront : oui mais le football est un spectacle et il faut faire lever les foules. Certes, mais les puristes apprécieront aussi les défenses de niveau international. Ils apprécieront aussi de voir s’affronter esthétisme et pragmatisme car c’est avant tout la quintessence même de ce sport. Tout le monde se souvient du Brésil parce qu’il était magnifique mais tout le monde se souvient aussi de l’Italie car elle a gagné. Tout le monde se souvient de ce match légendaire car il est la définition du football.